Le Sanctuaire
Installation performative, bois emprunté à la forêt, projection vidéo noir et blanc, création sonore, 2023
Restitution présentée dans le cadre le la résidence Nature in solidum, programme de résidence et de commande artistique dans le Parc naturel régional du Haut-Jura, co-conçu par COAL et la DRAC Bourgogne-Franche-Comté. Réalisé avec le plasticien Thibault Lucas. Chorégraphie en collaboration avec Julio Arozarena




Le Sanctuaire est une expérience plutôt qu’une exposition. L’installation invite le visiteur à se perdre dans un espace inconnu et sauvage. Il plonge alors dans une forêt oubliée, aux marges de la ville, traversée par une rivière. La disposition des branches, les surgissements aléatoires d’animaux ainsi que la création sonore issue de captations de la rivière tendent à évoquer les sensations propre au lieu réel dont s’inspire l’installation. Celui-ci engendre habituellement la crainte ou l’indifférence. Pourtant, ici, le visiteur prend son temps. Certains s’allongent dans l’obscurité, parmi les bêtes.
Un danseur fait de temps à autre une apparition furtive. En épousant les formes du Sanctuaire, ses mouvements nous rappellent notre appartenance à ce Grand Tout que nous appelons la nature.


Des humains s’affairent aux abords de la rivière, on entend un concert de moteurs et de voix mêlés. On la traverse sans la voir, il fut décidé d’en faire une « frontière » entre la France et la Suisse, mot utilisé par notre espèce pour diviser un espace physique en deux espaces mentaux, qui impliquent de vivre différemment de chaque côté. Pourtant, pour le reste des vivants, rien ne change. 

La rivière qui perdure dans son mouvement impassible fait naître en son bord des espaces sauvages oubliés. D’innombrables vies s’affairent, invisibles et silencieuses. Nous ignorons leurs présences, elles ignorent nos frontières. Chevreuils, truites, sangliers, cerfs, renards et castors vont et viennent indifféremment d’une berge à l’autre.
Souvent, des panneaux encadrent notre expérience de la nature, on entre dans une réserve en sachant que l’homme est garant de cet espace. A l’inverse, le sanctuaire n’a d’autres remparts que l’oubli. C’est précisément cela qui lui confère cette force sauvage : rien ni personne ne s’en occupe, aucune volonté humaine n'est à l'œuvre. C’est cela la nature; ce qui échappe à notre volonté. C’est ainsi que j’ai découvert le sanctuaire.

Par chance, il arrive que nous perdions pied pour plonger dans les choses. Il faut accepter que la ronce nous griffe, que le marais nous enfonce, que les roseaux nous avalent et que la nuit nous aveugle. Nos frontières s’évaporent sous l’effet d’une angoisse d’abord inquiétante puis délicieuse pour peu que l’on ose disparaître parmi la végétation. Un univers se révèle, habité de mouvements, de bruits, de souffles et d’odeurs à la fois inconnues et familières; archaïques.

Ces lieux ne sont pas accueillants mais nous pouvons nous y attacher en cela qu’il nous font toucher à quelque choses d’existentiel : le sentiment d’être un vivant parmi les vivants, de s’identifier avec ce qui vit à nos côtés, d’appartenir à une communauté qui nous dépasse dans le temps et dans l’espace. Ici règne le mélange et la rencontre, entre pays, entre humains et non humains, entre espèces endémiques et exotiques. Cela ressemble à un grand laboratoire à ciel ouvert, une utopie concrète et discrète.

Le sanctuaire nous fait peur. Il représente tout ce que nous refoulons et repoussons. Pourtant, en y demeurant, en y dormant, on apprend à s’y fondre, à éloigner l'inquiétude. Les cris dans la nuit, les branches qui craquent, tout cela ne fait plus peur, on apprivoise le cri d'un renard en chasse, le hululement d'une chouette qui marque son territoire, l'aboiement d'un chevreuil effrayé, le brâme d'un cerf en octobre, le brouhaha du merle soulevant la forêt en cherchant des vers, le fracas de branchages des sangliers quittant leur buisson pour passer la nuit en plaine. Toutes les peurs sont susceptibles de devenir des émerveillements. Un soir, au retour d'un affût destiné à surprendre les cerfs qui traversent la rivière, je ne retrouve plus mon chemin et me perd au milieu des ronces qui n'offrent aucun repère. Au-delà de la peur, cette sensation de perte de repères m’a réjoui car nous n’avons plus l'occasion de nous perdre.

Pour cette résidence, j’ai choisi de travailler avec des pièges photographiques, de petits appareils photos dotés de capteurs de mouvements qui se déclenchent automatiquement. En amont, cette pratique nécessite de nombreux affûts, des pistages, des journées à se fondre parmi les roseaux, des nuits blanches au bord de l’eau. Il est toujours question de disparaître pour voir apparaître. Ces appareils permettent de contempler la vie qui foisonne en notre absence, de rendre palpable cette profusion animale qui vit sans nous. Ces images nous font accéder à la sensation d’un Grand Tout dont nous faisons partie. Autrement dit, c’est une invitation à l’humilité, à occuper notre juste place dans ce maillage de vies qui nous dépasse.

L'installation invite chacun à trouver son Sanctuaire. Il peut s'agir d'un lieu physique ou intérieur, un espace pour sentir notre vie se nouer à celles des autres.







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